AVIS D’EXPERT –

Le professeur Jean-Paul Bounhoure, cardiologue membre de l’Académie nationale de médecine, vous répond.

Les terreurs soudaines, les agressions physiques, les catastrophes naturelles, les circonstances les plus éprouvantes de la vie sont connues depuis toujours pour affecter notre organisme. La plupart des médecins gardent le souvenir consternant du décès brutal d’un de leurs patients à l’annonce d’une nouvelle dramatique. De nombreuses anecdotes font état de morts subites, d’infarctus et d’accidents vasculaires cérébraux chez des sujets soumis à des stress émotionnels majeurs. Les séismes, tornades, tsunamis, les situations conflictuelles violentes, l’effroi devant une menace vitale, la souffrance éprouvée lors de la disparition inopinée d’un être cher sont des chocs psychologiques et affectifs lourds de conséquences, à court et long terme, pour la stabilité de notre milieu intérieur, notre système nerveux et endocrinien et, in fine, pour notre cœur.

Ces accidents cardiaques sont des syndromes de stress, appelés «broken heart syndrome» par les Anglo-Saxons et «tako-tsubo» au Japon, du nom de la ressemblance entre le vase bilobé utilisé par les pêcheurs japonais pour piéger les pieuvres et la déformation aiguë du ventricule gauche caractéristique de ce syndrome. On doit d’ailleurs aux chercheurs japonais d’avoir identifié pour la première fois, en 1991, cette nouvelle affection cardiaque qui touche environ 2 % de la population, essentiellement des femmes après la ménopause, mais fort heureusement totalement réversible dans la majorité des cas.

Des «faux» infarctus, souvent récidivants

Brutalement, sous l’effet d’un choc émotionnel, la personne manifeste une douleur thoracique ou une grande difficulté à respirer, qui fait obligatoirement penser à un infarctus du myocarde. Effectivement, ces «faux» infarctus représentent environ 1,5 % des hospitalisations réalisées en urgence pour infarctus aigus. Le syndrome de stress est rapidement diagnostiqué dès lors que l’on constate l’aspect normal des artères coronaires, mais, à l’inverse, une déformation caractéristique du ventricule. Cette dysfonction ventriculaire peut être grave, mais elle est réversible sans séquelle majeure en quelques semaines avec un bon pronostic. Par contre, si le taux de mortalité est faible et plutôt associé à des complications qu’aux conséquences du syndrome lui-même, les récidives sont fréquentes.

Ainsi s’explique en grande partie la forte augmentation des hospitalisations urgentes pour infarctus après le tsunami de Fukushima et le 11 Septembre à New York, où, dans les jours qui suivirent, on a enregistré 49 % de syndromes coronariens aigus de plus que la semaine précédente…

Un traumatisme s’avère ainsi d’autant plus puissant qu’il est soudain et intense, décuplant le choc affectif et psychologique de la terreur et du deuil. En perturbant profondément l’état cardio-vasculaire, il risque de nécroser les tissus, de fissurer et de provoquer une rupture de plaques d’athérosclérose, de déclencher un spasme artériel et une thrombose coronaire. C’est pourquoi il faut, d’emblée, apaiser l’angoisse et l’hyperémotivité en prescrivant des calmants et en assurant à ces patients une prise en charge psychologique ou psychiatrique, car on sait qu’il y a des relations étroites entre le stress, les affections neurologiques et le système cardio-vasculaire, et davantage encore chez les femmes dont on sait qu’elles réagissent plus vivement que les hommes, si l’on en croit leur niveau de cortisol, l’hormone du stress.

Chaque individu réagit différemment

Aujourd’hui, les défibrillateurs automatiques implantables permettent d’analyser les circonstances de survenue des arythmies gravissimes: dans plus de 30 % des cas, le choc électrique salvateur survient après des troubles du rythme dus à une situation stressante, une émotion forte, par exemple une violente colère. Les stress aigus contribuent par leurs effets biologiques et leur impact sur le système nerveux sympathique à créer une instabilité électrique qui facilite les arythmies ventriculaires graves et la mort subite, et il n’est pas rare de déplorer des accidents cardiaques dans les rangs des supporteurs les plus passionnés lors d’un événement sportif, de sorte que les équipes du Samu se tiennent toujours prêtes à intervenir quand un match important est disputé.

Mais chaque individu réagit différemment au stress en fonction d’une somme de facteurs incluant ses prédispositions génétiques et psychologiques, sa personnalité, les conditions de son environnement, son âge et ses capacités individuelles d’adaptation pour faire face à un danger. Or, paradoxalement, c’est ce même stress qui peut à la fois conditionner notre survie ou affecter la mise en jeu de systèmes de défense en les rendant délétères à plus ou moins long terme. Un choc psychologique peut ainsi déclencher une cascade d’interactions neurologiques, hormonales et biologiques complexes à l’origine de troubles plus ou moins graves, en particulier au niveau du système immunitaire et de notre système coronarien et cardiaque.

Les facteurs favorisants

Le stress est, en effet, un processus dynamique d’adaptation psychologique et physiologique de l’organisme aux contraintes physiques et psychiques soudaines ou prolongées, aux agressions inhérentes à notre milieu et à notre mode de vie. Mais il est aujourd’hui prouvé que cette réponse, sous ses différentes formes, aux agressions intervient comme facteur favorisant ou déclenchant de nombreuses pathologies cardio-vasculaires. Aigu ou chronique, le stress contribue à augmenter la morbidité et la mortalité cardio-vasculaire dans la population générale. Le tabagisme, l’hypertension artérielle et le diabète sont des facteurs favorisants.

À long terme, le stress au travail, stress chronique, particulièrement fréquent de nos jours, touche tous les secteurs d’activité et apparaît comme un des problèmes de notre civilisation industrielle. Les tensions psychiques au cours de la vie professionnelle, la dangerosité des postes, des conditions matérielles pénibles, des conflits au sein de l’entreprise entretiennent une sensation de mal-être permanent qui aboutit d’abord à un grand absentéisme, puis à l’apparition d’hypertension artérielle, de troubles somatiques divers pour enfin faciliter l’athérosclérose. Les fortes exigences au travail, une sensation chronique de frustration liée à un faible pouvoir décisionnel, l’anxiété devant l’insécurité de l’emploi augmentent le risque relatif d’événements cardio-vasculaires. La réponse aux stress de la vie quotidienne crée ainsi un état de tension aiguë de l’organisme qui va mobiliser immédiatement ses défenses pour faire face à une situation menaçante. Et réagir aussi brutalement que l’événement sera violent, inattendu, déstabilisant, pour tout dire dépersonnalisant.

 

Lecture Biblique: Psaumes 46:1-3

« Dieu est pour nous un refuge et un appui, un secours qui ne manque jamais dans la

détresse. C’est pourquoi nous sommes sans crainte quand la terre est bouleversée, et que

les montagnes chancellent au cœur des mers, quand les flots de la mer mugissent, écument,

se soulèvent jusqu’à faire trembler les montagnes. »