Des milliers de musulmans d’Algérie se convertiraient au christianisme, désenchantés par le «Printemps arabe» et la montée d’un islam violent, selon Ali Khidri, le seul distributeur de Bibles du pays qui croule actuellement sous les demandes. Des centaines de personnes viennent chaque mois aux bureaux de la Société de Bibles d’Algérie, assure son secrétaire exécutif. Ali Khidri souligne aussi que des milliers de musulmans se rendent dans les églises pour en savoir plus sur la foi chrétienne.
D’après le distributeur de Bibles, les musulmans interrogeraient actuellement leur foi, à cause des actes perpétrés au nom de l’islam. «Ils sont de plus en plus à penser qu’il s’agit là du vrai visage de l’islam», affirme Ali Khidri. Il ajoute que des chrétiens convertis produisent des émissions de télévision pour promouvoir la Bible auprès des Algériens, en utilisant leur connaissance du Coran.
200 000 chrétiens?
Selon la Société de Bible, il y aurait entre 100 000 et 200 000 chrétiens dans le pays, une immense augmentation, en comparaison des 2000 qui y résidaient il y a trente ans. Mais il est impossible d’avoir des chiffres exacts, parce que les chrétiens ne peuvent pas pratiquer leur foi ouvertement, en Algérie. Ali Khidri rappelle que, d’après le gouvernement, les chrétiens seraient 600 000. Mais, il s’agit selon lui d’une tentative de semer la peur. Plus de 2000 baptêmes ont en tout cas été enregistrés en 2013. Selon le bibliste, le pouvoir d’Alger tolérerait les nombreuses conversions parmi les Berbères, parce qu’ils étaient chrétiens avant l’arrivée de l’islam, au 7ᵉ siècle. Ali Khidri affirme également que les musulmanes sont attirées par le christianisme à cause du respect que Jésus manifestait envers les femmes. Depuis un décret présidentiel de 2006, le prosélytisme est interdit, et les cultes non-musulmans sont restreints, en Algérie, indique «The Tablet». Le fait de brandir une Bible peut être puni de cinq ans de prison ou de l’expulsion du pays, pour les prêtres étrangers.
Le christianisme comme affirmation identitaire
Mais, comme le note l’historienne française Karima Dirèche, dans un article publié par l’Apic en 2010, la plupart de ces conversions se font vers les mouvements protestants évangéliques et concernent surtout les Kabyles, un peuple issu de tribus berbères. Les conversions au néo-évangélisme s’inscrivent dans un contexte algérien de violence politique et idéologique: la décennie 1990, «décennie noire», a laissé place à la terreur et la guerre civile qui a fait plus de 200 000 victimes, opposant le gouvernement algérien à divers groupes islamistes. Cette violence a suscité le désarroi dans une Kabylie déjà encombrée de nombreuses crises, note Karima Dirèche. En Kabylie, le désenchantement induit par les années noires fait place à l’invocation d’un passé idéalisé, souligne la chercheuse. Au niveau religieux, le christianisme s’impose comme la religion d’origine du peuple kabyle, illustré par la figure de proue du Berbère qu’était saint Augustin (354-430). Karima Dirèche relève que les causes des conversions sont multiples. Selon une analyse sociopolitique, la conversion pourrait traduire, et principalement en Kabylie, la tentative de s’opposer au pouvoir et de se distinguer face à l’arabo-islamisme idéologique nationaliste algérien. –